Place à un photographe américain qui partage son temps entre Brooklyn et le sud de la France pour ce, déjà septième, numéro de Club Foveon. De la couleur, de la géométrie, et un photographe généreux qui n’hésite pas à se livrer. Bonne lecture !
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Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots auprès de nos lecteurs ?
J’ai toujours évolué professionnellement dans un environnement créatif. En tant que designer alors que j’avais une vingtaine d’années, puis comme directeur artistique et consultant en France et aux Etats-Unis : que ce soit en agence pour Publicis, Havas, Ogilvy, McCann ou en direct pour des entreprises telles que Sanofi ou Nestlé. Mon attrait pour la photographie s’est manifesté alors que j’étais encore adolescent mais s’est développé alors que je travaillais comme consultant créatif pour Digital Vision (racheté ensuite par Getty Images) et Veer (filiale de Corbis) de 2004 à 2007. Je suis actuellement un mastère (MFA) en arts visuels à l’institut des arts de Boston, à l’université de Lesley, en tant que photographe. Je continue en parallèle à travailler comme consultant créatif pour des agences de publicité ou chez l’annonceur.
Plans très frontaux, attrait pour la signalétique, cadrages au cordeau, on pense immédiatement en voyant vos images à William Eggleston, Stephen Shore et toute la photographe américaine des années 70. Photographiques ou autre, nous aimerions en savoir plus sur vos influences, dites-nous tout !
De toute évidence, mes photos, et plus particulièrement celles de lotissements dans le sud de la France ou en Californie du sud ont une approche très géométrique et frontale. Les « nouveaux topographes », et plus particulièrement Lewis Baltz et Robert Adams, ont une grande influence sur moi, tout comme Ed Ruscha. Mais je suis également inspiré par d’autres photographes « d’architectures » tels que Andreas Gefeller ou Candida Hofër, qui sont tous les deux d’origine allemande. Certains photographes découverts sur flickr et que je suis désormais sont également une grande source d’inspiration. Je pense à Jarek Kisieliński, Pierre Layotte, and Pascal Heymans, Dan Mitchell-Innes, Isa Gelb ou Pavel Petros, qui sont tous européens.
Beaucoup de ces photographes américains travaillent à la chambre ou au moyen-format et sont réputés pour travailler avec une zone de netteté maximale. On imagine alors que le besoin de piqué était déterminant pour la réalisation de vos images. Est-ce ce besoin qui vous a amené à vous intéresser aux boîtiers Foveon ?
En fait, je me suis intéressé au Foveon dans un premier temps, non pas pour le paysage mais pour une série de « portraits » de vigne réalisée en 2012. Notre maison en France est située dans un petit village du Minervois, un vignoble du sud du pays (Languedoc Roussillon) et un ami à moi possédait une exploitation qui allait être refaite. J’ai alors décidé d’emporter quelques pieds déracinés dans notre grenier pour réaliser le portrait de ces arbres tordus et déformés dont la forme, comme vous le savez, ne doit rien au hasard et qui n’ont rien de « sauvage » puisqu’ils sont en effet très méticuleusement taillés et manipulés pour obtenir ces formes. J’avais besoin, pour les photographier, d’un capteur qui était capable de capturer les plus infimes détails de ces pieds accidentés et le Foveon m’est apparu comme la solution idéale. Voilà comment j’ai fait l’acquisition d’un DP2 Merrill. (ndr : La série Vinis Vitifera peut être vue ici https://www.flickr.com/pho…/jmonline/sets/72157649493435752/)
Quels sont, d’après votre utilisation, les principaux avantages des boîtiers SIGMA et de leur capteur Foveon ?
La précision des détails capturés par le Foveon m’étonnera toujours, et c’était donc la raison principale de mon achat. J’ai ensuite découvert cependant que la caractéristique la plus intéressante de mon boîtier Foveon était la restitution des couleurs uniques et la richesse qui permet de générer des images hyper réelles et presque palpables.
Vous êtes nés aux Etats-Unis et cela se ressent dans vos images, de par votre utilisation de la couleur tout d’abord et la place prépondérante du territoire dans vos travaux. On est ici très éloigné ici des photographes humanistes Doisneau, Ronis, Cartier-Bresson, qui sont des modèles encore très présents chez les photographes français. Etes-vous attiré par cette photographie Monochrome qui donne une grande place à l’humain ?
En fait, je suis né aux Philippines, mais j’ai déménagé à l’âge de dix ans aux usa. Effectivement, ayant grandi aux Etats-Unis et plus particulièrement dans le sud de la Californie, je ne peux qu’être (volontairement ou pas) influencé par la photographie américaine, notamment celle ayant pour sujet la banlieue dans les années 60 et 70. Je suis malgré tout un grand admirateur de la photographie « humaniste » française, particulièrement celle de Robert Doisneau et Henri Cartier-Bresson. Je pense cependant, et le fait de vivre dans un monde globalisé de plus en plus petit a forcément de l’influence, que cette quête de l’instant décisif (et cette obsession du temps capturé) a laissé place à une obsession pour le lieu (ou du fait de l’accélération de la globalisation : l’absence de lieu). Egalement, je trouve plus intéressant et gratifiant de capturer les restes de l’activité humaine ou d’une culture pour exprimer la condition humaine dans son ensemble que de capturer les individus directement.
La notion d’errance et d’exploration domine dans vos images. Comment fonctionnez-vous pour construire ces séries ?
La plupart de mes images sont et font partie de mon environnement, immédiat et quotidien. En France, je réalisais mes images à travers mon village et les vignes, et ici à Brooklyn, alors que j’emmène ma fille à l’école en métro ou à pied dans mon voisinage. La notion de lieu étant tellement inhérente à mon travail, il est important pour moi de ne pas tomber dans une vision « touristique » de la photographie en partant par exemple à l’inconnu à la recherche d’un « projet ». Il est bien plus intéressant pour moi que ces images se révèlent d’elles même en s’immisçant dans mon quotidien, plutôt que de « traquer » des « images intéressantes »
Comment voyez-vous votre photographie évoluer au cours des prochaines années ?
Mes cadres sont beaucoup moins « carrés » depuis que j’ai déménagé à Brooklyn il y a quelques mois. C’est comme si ma vision très frontale et géométrique de la banlieue française ne correspondait pas à cet environnement urbain. Je commence également à photographier plus souvent l’humain mais de manière hésitante car je cherche à éviter les clichés d’une certaine forme de photographie de rue construite sur les codes établis au 20ème siècle par ceux qui ont battu le pavé de Paris ou les blocks New Yorkais.
Vous semblez réaliser toutes vos images au DP2 Merrill. Faites-vous partie de ces photographes qui s’obligent à se restreindre niveau matériel pour pouvoir se concentrer d’avantage sur leur photographie ?
Alors qu’il m’arrive de jouer avec d’autres boîtiers, c’est toujours vers le DP2 Merrill que je reviens pour la plupart de mes travaux, le coté facile à transporter étant bien sûr incompatible avec une chambre (ou même un boîtier Moyen Format). Les reflex traditionnels sont aussi beaucoup trop encombrants. Le DP2 Merrill est pour moi l’équilibre parfait entre qualité d’image et encombrement, deux choses très importantes compte tenu de mon travail.
Quels sont vos projets pour les prochaines années à venir ? Des expositions ? De nouvelles séries prévues ?
Je viens d’arriver à Brooklyn il y a seulement quelques mois, et j’ai découvert plusieurs projets que je mènerais cette année en rapport avec la gentrification et l’évolution de la population de Caroll Gardens, le quartier dans lequel je vis. Ce quartier est passé d’une population appartenant essentiellement à la classe ouvrière italienne à une population plus aisée d’origine française (Les bobos comme on les appelle). Il faut savoir que Carroll Gardens est le quartier qui possède la plus grosse population francophone de New York.
Je serais de retour en France cet été et j’en profiterais pour continuer ma série de portraits de vignes, pour photographier plus de « lotissements » pour ma série du même nom, et peut être que je réaliserais une série sur les expatriés de la région, qui compte notamment beaucoup d’anglais, de neerlandais ou d’allemands.
L’année dernière, mes photos ont été présentées dans des galeries à Toronto, ainsi qu’à Budapest et dans un lieu proche de mon village dans le sud de la France. Cette année, j’aimerais beaucoup présenter les images de mes séries rurales (Les lotissements et Vitis Vinifera) à Paris ou à New York, car je n’ai rien vu de semblable exposé dans ces deux villes.
Merci à Jonathan d’avoir répondu à nos questions ! Retrouvez ses séries françaises et américaines sur sa page Flickr :https://www.flickr.com/photos/jmonline