Notre invité du jour, Mahdi Lepart, fait l’actualité en cette rentrée 2021 avec la série événement de France 2, l’absente, sur laquelle il a endossé le rôle de Directeur de la Photographie. Un Thriller qui nous emmène au sein d’une communauté ébranlée par le retour de la jeune Marina Masson, disparue 10ans plus tôt. S’en suit une enquête sur huit épisodes à l’esthétique froide et particulièrement soignée, nécessaire dans ce type de productions afin de favoriser l’immersion totale du spectateur.
SIGMA France : Bonjour Mahdi. Tout d’abord, un grand merci d’avoir bien voulu te prêter au jeu de l’interview afin de discuter avec nous de l’Absente et de ton métier. Peux-tu commencer par nous en dire plus sur ton parcours ? Comment devient-on Directeur de la Photo ?
Mahdi Lepart : Bonjour. Merci de me donner l’opportunité de parler de mon travail sur L’absente. Depuis très longtemps, je suis fasciné par l’image au sens large. Ado je faisais de la photo en Noir et Blanc et mes propres tirages argentiques, j’avais aussi des amis graphistes qui m’ont initié à Photoshop. J’ai toujours été attiré par le sentiment qu’on ressent à réussir une image, quelque soit la discipline. J’aurais adoré savoir peindre par exemple, malheureusement je ne suis pas très doué avec des pinceaux ahahah !
Au fil du temps, c’est ajoutée l’envie de raconter des histoires. J’ai passé beaucoup de temps dans les salles de cinéma et j’étais fasciné par les films américains et asiatiques.
J’ai commencé ma carrière en tant qu’électro (en charge du placement des sources et de leur réglages), j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont permis de progresser rapidement et aussi de travailler avec des Directeurs de la Photographie pour lesquels j’avais une grande admiration. Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose de magique dans la possibilité de créer avec de la lumière, rendre vivants des décors, mettre en valeur des acteurs… Je voulais faire ça. L’avantage d’être électro, c’est qu’on est très impliqué dans ce travail de la lumière.
Petit à petit j’ai appris, jusqu’à devenir Directeur Photo à mon tour. Maintenant je fais beaucoup de publicité et de fiction.
Le métier reste méconnu du grand public. Au contraire de la photo qui est souvent une pratique solitaire, l’image animée demande beaucoup plus de compétences et de monde autour de la caméra. Quel est exactement le rôle du DP sur une production ciné, ou télé, comme ici pour cette nouvelle série dramatique de France 2 ?
La photo et le cinéma sont deux exercices différents. Il y a quelque chose dans la perfection d’une image figée qui me fascine. Je pense que c’est très complexe de trouver l’image parfaite en photo.
En cinéma on pense différemment parce qu’il y a un récit. Une image arrêtée raconte une histoire, à 24 ou 25 images par secondes. On doit faire en sorte de capter ce que livrent les acteurs et pour se faire on a une palette technique et formelle assez large. Sur le plateau, le DP est en charge de l’image au sens large. C’est à dire de capturer les envies du réalisateur tout en y incluant son regard. Autour de moi j’ai une équipe caméra, électricité et machinerie pour m’aider dans cette tâche. Sur L’Absente c’était respectivement les excellents Jean-Baptiste Delahaye, Bruno Lamé et Axel Dumazy qui ont abattu avec leurs équipes un travail incroyable dans des conditions complexes. Une équipe hors du commun.
Le DP collabore aussi avec les autres départements : Décoration, Stylisme, Make up… pour faire en sorte de créer des images et d’accorder l’ensemble des paramètres à une esthétique globale
Pour revenir à L’Absente, avec Karim Ouaret, le réalisateur, on n’a pas parlé longtemps de ce qu’on voulait faire parce qu’on s’est vite rendu compte que nous avions énormément de goûts communs (c’était une première collaboration et une très belle surprise). Les choses étaient évidentes et il y a eu beaucoup de fluidité dans la manière d’aborder les séquences. J’ai pris un immense plaisir à collaborer avec lui, c’est un réalisateur inspiré et inspirant. Sa mise en scène et mes images se sont rapidement accordées ce qui nous a permis de faire beaucoup de choses. J’avais en tête de créer des tableaux, avec des plans ou les personnages auraient une dimension iconique importante. Des plans larges composés, des portraits forts. D’ailleurs c’est là qu’on rejoint la photo. A mon sens, quand on arrive à figer une image de cinéma et que le plan fonctionne à l’arrêt, c’est qu’il est réussi.
En amont du tournage j’ai fais un gros travail de références et établit des chartes colorimétriques qui fonctionnerait dans nos envies. On a accentué la présence de certaines couleurs et atténuer d’autres. On voulait travailler dans un espace colorimétrique précis, dans un contraste précis. De plus en plus, je me concentre sur ces points. Les couleurs et leur manière de réagir les unes avec les autres. C’est tellement important.
Au niveau de tes influences personnelles, quels sont les artistes, quel que soit le domaine, qui t’ont marqué ?
Comme beaucoup de monde, la peinture au sens large et plus particulièrement les peintres Flamands, les Classiques et Romantiques français et les Modernes américains. Mais franchement il y a tellement de peintres dont on peut s’éblouir. Et puis les grands photographes évidemment chez qui on trouve toujours des influences en terme de cadre et de composition. Entre les Classiques et les Photographes actuels il y a beaucoup de monde.
Et enfin, bien évidemment les grands Directeur de la Photographie. C’est incroyable de signer la photo d’un film et de transmettre par l’image des émotions. Il y a un savoir faire, une expérience et une justesse folle derrière tout ça. C’est très impressionnant. Pour en citer quelques uns, Roger Deakins, Darius Khondji, le regretté Harry Savides. ils ont un tel niveau…
En plus de tes goûts et de ton histoire personnelle, le métier doit, j’imagine demander une grande culture générale, une bonne connaissance du cinéma, mais aussi de l’histoire de l’art, pour permettre de s’affranchir de son propre univers et s’adapter à celui de la production. Est-ce que tu vas volontiers sur des projets éloignés de tes envies et de ton univers ? Ce n’est pas trop difficile de mettre de côté sa propre subjectivité ?
C’est vrai qu’on se construit une identité visuelle avec le temps. Il y a des choses qu’on aime en terme de cadre, de contraste et de couleur, et on va naturellement dans cette direction. Et puis pour arriver a faire un plan il faut comprendre et traduire ce que le réalisateur désire, et faire en sorte que le plan raconte ce qu’il faut. Personnellement je visualise les choses avant même d’avoir posé une caméra. Après il faut que ça plaise au réalisateur et que ça aille dans le bon sens. Mais c’est quand même génial d’entrer dans un autre univers, d’en comprendre le fonctionnement et les codes et de tenter de le restituer à sa manière. Je ne crois pas qu’on mette de côté sa subjectivité, on s’adapte mais une image c’est comme une écriture, chacun à la sienne et elle est toujours présente.
Côté technique, vous avez choisi les optiques Cinéma SIGMA Cine Lens pour l’image de cette nouvelle série tournée sur Red Monstro. Une camera 8k plutôt exigeante donc ! Comment s’est opéré ce choix ?
En effet, on a tourné en Sigma FF high speed. Je voulais tourner avec un capteur Fullframe parce que j’aime particulièrement les focales larges. Un grand capteur permet de réduire la profondeur de champs sur les plans les plus large et de décrocher les personnages.
Nous avons était contraint par le diffuseur à un format 16/9 que je ne souhaitais pas au départ. Il me semblait logique que les décors que nous avions repérés avec Karim fonctionnaient mieux dans des rapports horizontaux. Ils nous fallait des barres noires pour les scènes de plage, de mer et nos décors qui était plutôt horizontaux. Du coup, de la contrainte nous avons décidé de faire une force et il m’a paru évident que devant les grands espaces de mer et de plage, il faudrait que j’aère énormément les plans et pour véhiculer cette sensation de mal être de nos personnages, il me fallait de la place pour pouvoir les déplacer dans le cadre. Et enfin, nous avions envie d’ajouter un personnage supplémentaire, à savoir la région Nord ou nous avons tourné. La cote d’Opale est un endroit fabuleux, il fallait que les plages, la mer, les ports, le vent, les embruns soient filmés eux aussi. Afin de nous plonger dans cette ambiance si particulière. Du coup nous avons tenté un 16/9 audacieux avec des axes et des cadres particuliers.
«J’ai été bluffé par la série SIGMA. Je connaissais la gamme Photo mais je ne me doutais pas que les rendus de la gamme Ciné étaient aussi bons.»
La gamme SIGMA commence au 14 mm et le jeu de focale large est magnifique. On l’a pris entre 6 et 8K sur la Monstro (et parfois une Gemini en 5K). Ca me permettait de me tenir très près des comédiens. D’être dans leur intimité. En allant du 20 au 40mm dans trois tailles de capteurs distinctes c’est presque comme si on avait 15 focales différentes. L’avantage de ces focales c’est qu’elles offrent des résultats équivalents dans toutes les résolutions.
Le fait de pouvoir s’approcher de nos acteurs et d’être également libre de suivre leur mouvement était aussi du à la volonté de Karim Ouaret de tourner avec une seule caméra. Là encore c’était osé au vue des importants minutages que l’on doit faire chaque jour. Mais ça nous à apporté une forme de singularité
En prépa du film j’ai fais des tests optiques chez RVZ et nous avons beaucoup parlé avec Samuel Renollet qui est un brillant conseiller et un ami. J’ai testé une douzaine d’optiques de toutes les marques de fabricant connu. Je cherchais des optiques définies et versatiles. On a tout fait, des travellings, de la grue, du Ronin, du stead, des accroches voitures, des voitures travelling, des bateaux travelling… et beaucoup d’épaule. Il fallait que les optiques soient suffisamment compactes pour être utilisée dans toutes les configurations (nous avons shooté pendant 88 jours entre 5 et 6 minutes utiles par jour ce qui implique de passer rapidement d’une config à l’autre), Il fallait aussi penser a la dépense physique que ça pouvait représenter et que le poids de la caméra ne devienne pas trop énorme quand on passait à l’épaule. Il fallait également suffisamment moderne et bien carrossé pour résister aux conditions difficiles de la côte d’opale qui nous a offert deux tempêtes, du froid et énormément de pluie.
Au terme des tests j’ai été bluffé par la série SIGMA. Je connaissais la gamme photo mais je ne me doutais pas que les rendus de la gamme ciné étaient aussi bons. En terme de restitution de la couleur, de cohérence d’une focale à l’autre, de piqué et de rendu cosmétique c’est une très très belle série. Une vraie belle série moderne qui collait avec mes besoins. Et puis les grandes ouvertures offre des possibilités supplémentaires. Samuel et Fréderic Lombardo, qui s’occupe des optiques chez RVZ, m’ont également proposé une petite personnalisation en ovalisant les focales. Une recette maison RVZ qui permettait d’obtenir un peu plus de caractère à pleine ouverture.
Quelles focales avez-vous utilisé exactement ?
A peu près toutes. Sur 88 jours de tournage et environ 1400 plans shootés on a la possibilité de passer pas mal de focales. Mais majoritairement entre le 20mm et le 40 mm qui est mon chouchou. Magnifique !
On a tendance à prêter aux cinéastes un goût pour les optiques dites « à caractère ». Les optiques SIGMA ont quant à elles un rendu plutôt moderne et dénué de défaut. Qu’est-ce qui t’a plu dans ce rendu ? Est-ce que cette caractéristique facilite le travail en post prod, colorimétrie en tête ?
Pour shooter un thriller psychologique comme L’Absente, j’ai fais le choix de focales bien définies, sans aberrations optique de déformation ou encore de flares trop prononcés. J’adapte le choix des focales à mes projets et cette fois il fallait maintenir un rendu visuel sur près de 5 mois, qu’ils pleuve, vente ou fasse grand soleil (ce qui n’est pas arrivé souvent ceci dit ! ) Et puis je voulais en effet retravailler en post en m’inspirant modestement et dans la hauteur de nos moyens à ce que David Fincher avait pu faire sur Mindhunter. Ils avaient retravaillé l’image avec des légers glows et des décalages de couche. Ghislain Rio qui a étalonné avec brio cette série a mis en place un process d’étalonnage et d’effets qui nous a permis d’avancer rapidement et de ne rien bâcler malgré le timing serré que nous avions. Ghislain a été incroyable. Du coup nous avons ajouté un peu de texture à l’image, mais les rendus bruts étaient déjà très beaux et la modernité de ces focales collaient parfaitement avec le projet. D’ailleurs, pour le tournage, Ghislain a créé des LUTS personnalisés pour que nous soyons déjà proche dans l’univers de la série.
Justement, tu as toujours travaillé en numérique ? En quoi la prise de vue sur disques durs a bouleversé le métier ?
Je suis un « enfant du numérique ». Quand j’ai commencé ce métier, c’était l’avènement des premières caméras en 25P, des kits mini 35, il y avait une nouvelle caméra tout les trois mois. J’ai tout testé, tout utilisé au fil des années. J’ai aussi eu la possibilité de faire de la pellicule et mon premier court métrage était shooté en 16mm par exemple. Mais le numérique a permis de démocratiser l’accès à la caméra en réduisant les coûts. On pouvait faire un film avec un tout petit budget. Quand on commence, qu’on fait des court métrages avec des potes, c’est beaucoup plus simple.
A mon sens, la vraie grande modification de l’arrivée du numérique, c’est le fait qu’avec un travail de LUT sur le plateau, on approche immédiatement un résultat assez proche du rendu final. Ce qui permet de bosser en détail et d’affiner encore plus les choses. Le Directeur Photo à une aura moins mystérieuse car il n’est plus le seul a voir ce qui se passe, mais le métier reste le même, l’outil est juste différent. Beaucoup d’industries on vécu les mêmes bouleversements.
Tu parlais de Mindhunter de Fincher, on pense également forcément à The Killing et True Detective à la lecture du synopsis de l’Absente. N’étais-ce pas trop difficile de se détacher de ces influences qui ont écrit les codes de la série policière moderne ?
Surtout pas ! je ne voulais pas m’en détacher. Ce sont des séries incroyables. Si j’ai pu m’en rapprocher ne serait ce qu’un peu c’est une grande fierté pour moi. Idem pour Mindhunter dont nous avons beaucoup parler avec Karim. Nous avions un budget très limité pour L’absente, il a fallu être malin pour trouver des solutions qui nous permettent de shooter rapidement (6 à 7 minutes utiles par jour) tout en ayant un bel aspect esthétique. L ‘idée était de prendre des parti pris, des risques pour faire exister ce programme dans le paysage de la production française. Je pense que c’est très important d’avoir des références fortes, parce que de toute manière la singularité de chaque projet fait qu’on les restituent d’une manière personnelle et donc différentes. Pour exemple, la saison 1 de True Détective est incroyable en terme d’ambiance et de restitution de la Louisiane. On s’est vraiment dit que c’était un exemple à suivre. Rendre la mer du Nord oppressante et omniprésente.
A ce sujet je voulais en profiter pour remercier Sophie Revil notre productrice, et Escazal sa société de production. Elle nous a suivi dans ces partis pris et risques avec bienveillance et nous a vraiment poussé dans l’idée de faire un programme original avec une forte identité. Et également Loïc Ouaret le compositeur qui a fait un magnifique travail et appuyé les ambiances avec des morceaux puissants.
Est-ce que tu as une activité artistique solo en plus de ton métier de Directeur de la Photo ?
Je suis comme je le disais, dingue de photographie. J’ai presque tout le temps un boitier avec moi et j’aimerais shooter plus. Je vais essayer d’éditer mon premier livre de photos dans les mois à venir.
N’oublie pas de nous prévenir quand ça sort ! En attendant, quels sont les prochains projets sur lesquels on aura le plaisir de te voir ?
Depuis la fin du tournage de l’Absente j’ai repris le circuit de la publicité dans lequel je m’amuse beaucoup. C’est là que j’ai fais mes armes. Contrairement à ce qu’on pourrait croire c’est une activité compatible avec la fiction. On essaye beaucoup de choses, on passe d’un univers à l’autre très rapidement, on voit beaucoup de configurations et de techniques diverses, de réalisateurs et réalisatrices aux envies différentes. A mon sens, les mondes de la fiction et de la publicité devraient être plus connectés. Donc je prends beaucoup de plaisir, j’essaye de progresser et pour l’instant j’attends tranquillement un projet de fiction qui m’emballe.
L’Absente, réalisé par Karim Ouaret, écrite par Delinda Jacobs, produite par Sophie Révil et Denis Carot, Escazal films. Avec Thibault de Montalembert , Clotilde Courau, Olivier Rabourdin, Marie Denarnaud, Salomé Dewaels, Lionel Erdogan, Laëtitia Eïdo, Manuel Severi et Bruni Makaya.
Crédits Photo de plateau Eugenie Lavieille, Axel Dumazy, Edouard Partoes.
Retrouvez la série complète sur la plate-forme Salto
Toutes les informations au sujet de l’Absente sur Wikipedia
Le travail de Mahdi Lepart sur son site web
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